Evangéliaire d'Ebbon

L'évangéliaire d'EBBON (2000)


Ebbon, frère de lait de Louis le Débonnaire qui fit de lui son bibliothécaire, devint archevêque de Reims en 816. Au concile de Compiègne, en 833, sous l'influence de Lothaire, il prit une part active à la déposition de son ancien bienfaiteur, mais lorsque celui-ci retrouva son trône, Ebbon fut à son tour chassé par le concile de Thionville(835).

Après la mort de Louis le Débonnaire, Lothaire, devenu empereur, le rétablit sur le siège archiépiscopal de Reims dont Charles le Chauve le destitua un an plus tard. Il se réfugia alors auprès de Louis le Germanique qui lui offrit l'évêché d'Hildesheim où il mourut en 851.

Ses intrigues politiques, sa grande influence dans le monde religieux de son temps célèbrent moins sa mémoire que l'Évangéliaire auquel est attaché son nom et qui est un des fleurons de l'enluminure carolingienne.

Le manuscrit s'ouvre sur un poème glorifiant celui qui le fit exécuter. Si le nom d'Hautvillers n'y est pas cité, la dédicace à Saint-Pierre, la mention de "Abbas Petrus" (de 820 à 841, Pierre Ier fut Abbé d'Hautvillers), sa présence dans la bibliothèque d'Hautvillers jusqu'à la révolution permettent de l'attribuer au scriptorium - le plus remarquable de l'école de Reims - qu'abritat au début du IXe siècle l'abbaye bénédictine fondée vers 662 par Berchaire, moine venu de Luxeuil, à l'instigation de l'archevêque de Reims, Nivard.

II y fut copié avant 835, date à laquelle Ebbon fut chassé du siège de Reims; avant 823 peut-être, car le poème dédicatoire ne rappelle pas la mission qu'il entreprit pour la conversion des Danois et qui fut à l'époque un de ses titres de gloire.

Deux vers présentent le manuscrit dans tout son luxe : Hunc auro interius Christi decoravit amicus. Atque ebore exterius...

S'il est en effet entièrement écrit à l'encre d'or, sur vélin, en minuscule Caroline et en capitale rustique, pour la dédicace, le manuscrit contient, outre le texte des quatre Evangiles et les prologues de Saint Jérôme, les éléments caractéristiques de l'évangéliaire carolingien qui en font un livre liturgique destiné à la lecture pendant l'office : les tables des canons et le capitulare Evangeliorum.

Vers 330, Eusèbe de Césarée imagina un procédé pour établir une concordance entre les textes des quatre Évangiles qu'il divisa en versets numérotés. Les dix Canons rassemblent en colonnes, dans l'ordre de l'Évangile de Saint Matthieu, les versets concordants des autres Évangiles, le dixième relevant les passages propres à chacun. Dans cette oeuvre, les Canons s'inscrivent dans un décor architectural de colonnes de marbre veiné, à chapiteaux corinthiens, surmontées du fronton triangulaire du temple grec. Les rampants sont ornés d'arbustes et de feuillages stylisés, d'animaux symbolique comme le lion ou le paon, et de personnages : charpentiers, chasseurs armés d'arcs et de javelots, clercs en toge dont la vivacité des attitudes, la finesse et le mouvement du dessin concourent au charme de ces pages.

A la fin du volume, le capitulare Evangeliorum indique les passages des Évangiles qui, tout au long de l'année liturgique doivent être lus à la messe.

Le début de chaque Évangile est marqué par une majuscule enluminée dans le style irlandais qui, dans ses entrelacs, mêle l'or et l'argent au mauve, au rosé et au turquoise.

En regard, des figures à pleine page représentent les évangélistes dans l'attitude du copiste. L'inspiration en est tout hellénistique et l'on ne peut manquer de rapprocher le décor de légers portiques et d'arbres, esquissés en quelques touches sur lequel se détache Saint Matthieu, des fresques que Pompéi nous a léguées. Peut-être même l'enlumineur d'Hautvillers a-t-il pu en découvrir dans des vestiges gallo-romains subsistant dans la région de Reims.

Mais si le modèle est antique, l'artiste carolingien lui ajoute la nervosité expressionniste et l'intensité frémissante caractéristiques des scriptoria de l'École de Reims. Le jeu de la couleur et de la lumière agite les plis des vêtements, donne du relief aux corps et introduit dans ces enluminures une spiritualité qui éclate aussi dans le regard des évangélistes, tendu vers l'inspiration divine.

On retrouve la même intensité, le même mouvement dans les dessins à la plume qui illustrent le Psautier d'Utrecht (Bibliotheek der Rijksuniversiteit) composé à la même époque au scriptorium d'Hautvillers.

Si l'éclat de l'atelier d'Hautvillers semble s'éteindre avec son fondateur, son influence perdurera dans la seconde moitié du IXe siècle dans d'autres manuscrits de l'École de Reims; les Évangiles donnés par Hincmar à Saint-Thierry ne rappellent-ils pas les Évangiles d'Ebbon, par le décor plein de fantaisie et de vivacité de leurs canons ?


Annie de Sainte-Mareville